Israël-Palestine : La danse funèbre
En Palestine, des funérailles ambulantes en hommage aux victimes se produisent fréquemment. De la mosquée à la tombe des défunts des milliers d’hommes et de femmes marchent en exprimant leur tristesse.
Il est midi quand nous rencontrons par hasard quelques activistes pro-palestiniens regroupés place Al Manara. Appareil au poignet, prêts à déclencher l’obturateur nous rejoignons le cortège en route pour manifester. Les drapeaux palestiniens flottent au dessus de nos têtes, mêlant le bleu du ciel aux couleurs de la liberté. Nous formons un petit groupe de 40 personnes. Quelques femmes, six toutes aux plus, ouvrent la marche en brandissant sans ambages des photos d’enfants morts durant les bombardements de la veille à Gaza. Les hommes dictent leurs colères chacun leur tour, suivis à la lettre par la foule. Nous descendons Arafat square jusqu’au camp de réfugiés d’Al Amari dans la banlieue de Ramallah. Le paysage impassible que dessine le monde à l’intérieur semble annoncer un événement.
Curieux nous nous enlisons timidement dans la rue principale du camp et comme emportés par une indiscrétion perverse nous avançons en scrutant d’un œil vif ce qui nous entoure. Le long des trottoirs, les jeunes agitent des drapeaux du Fatah, du Hamas et du djihad. Des gens, postés sur des jeep ou sur les toits, attendent fixement tandis que d’autres, emportés par les flots de manifestants, continuent de marcher. Les regards que je croise semble m’en dire plus sur ce qu’il se passe : Iris humides, pupilles dilatées, sourcils froncés, leurs grands yeux noirs suscitent une profonde affliction, une colère manifeste et un chagrin douloureux. Plus le temps passe, plus la détresse est palpable. Nous arrivons à une intersection avec une petite rue quand la foule s’immobilise. Des pleurs, des cris, des prières, les émotions se confondent. Une poignet de reporter est sur place à attendre quelque chose mais nous ne savons pas encore de quoi il s’agit. L’atmosphère s‘alourdit et la foule s’agite quand des tirs retentissent. Non loin de là une milice armée surgit de la ruelle. Au même moment une quinzaine de personnes portent, bras tendus, un homme allongé au dessus de la foule. Les paupières fermées, le visage maquillé d’un teint mate, le corps inanimé couvert du drapeau de la Palestine, nos doutes se dissipent immédiatement. Nous assistons à une marche funèbre.
La cadence des tirs s’accélère, nous nous approchons des hommes armés. Des jeunes militants excités par les évènements nous font signes d’arrêter de photographier. La foule ardente s’est embrasée comme un feu sur lequel souffle un vent violent et tout le monde marche à présent vers la sortie du camp. La scène, aux allures dangereuse, ne révèle en réalité aucunes violences. Ce n’est que l’expression coutumière de la colère que suscite la mort de l'un des leurs. Une fois sortie du camp, les hommes cagoulés et armés tirent une dernière rafale avant de disparaître comme ils sont apparus, soudainement.
Au cœur de la masse nous continuons de photographier les visages meurtris, et la foule ivre de tristesse en route vers le centre ville. Les hommes s’accrochent, bras dessus bras dessous en effectuant une danse funèbre autour du défunt. Une dizaine d’enfants debout sur un pick-up allègue la liberté de la Palestine pendant que leurs mères pleurent à l’arrière. A 14h00 nous sommes toujours en marche mais décidons de prendre nos distances lorsque nous recevons des projectiles lancés par quelques jeunes offusqués de notre présence.
Quelques minutes plus tard, une manifestante en larme vient à notre rencontre. Agée d’une soixantaine d’année la femme tente de nous expliquer ce qu'il s’est passé, en nous faisant des signes de piétinements mais nous ne parlons pas l’arabe. Nous arrêtons un homme pour lui demander de nous traduire: «L’homme rentrait de l’école. Il avait un t-shirt de soutient à Gaza et protestait devant des soldats forcenés. L’armée israélienne lui a tiré dessus. Elle a piétiné le corps et l’a jeté par dessus l'enceinte de sa maison comme un animal». Elle ajoute: «Je n’ai pas vu ma fille depuis 14 ans, elle est à Gaza et je n’ai plus de nouvelles depuis le début des bombardements ».
La mâchoire vacillante et le cœur retourné, nous décidons de rentrer à l’auberge pour partager nos émotions























