Plus d’1,3 million de réfugiés Syriens séjournaient au Liban en Janvier dernier d’après les chiffres annuels du haut commissaire des nations unies pour les réfugiés (HCR). Dans la plaine de la Bekaa, à la frontière Syrienne, ils seraient 407 000, répartis dans plus de 1000 camps informels. Malgré l’aide des associations et le soutien de certaines communes et ses habitants, la situation des réfugiés ne cesse de se détériorer.
Il est 7h30 du matin, le soleil se lève au pays du cèdre. Nous roulons près d’une heure sur les routes sinueuses des montagnes arides et surchargées de chantiers inachevés et franchissons enfin les checkpoints de l’armée Libanaise. Quelques mètres plus loin, nous attaquons la redescente vers la plaine, à première vue calme et réconfortante. En effet, coincée entre les menaçantes chaines de montagnes, la plaine de la Bekaa est un oasis plat et verdoyant, où les constructions semblent retenues par les vastes terrains agricoles. Dernière ligne droite dans le Farwest de la route de Damas. Aux abords de la chaussée, des gens entrent et sortent des commerces dans un brouhaha assourdissant. Bruyante, sale et désordonnée, la plaine est moins calme qu’elle en a l’air. Derrière cette artère principale sur laquelle se joignent toutes les petites routes, on peut déjà apercevoir des tentes blanches distribuées par l’HCR aux réfugiés. Dessus s’additionnent des extensions en palettes, grillages et objets en tout genre. Nous continuons jusqu’à la frontière, dans le village de Marj Anjar.
De l’autre coté, une route bétonnée s’enfonce dans les montagnes syriennes tandis que des chemins en terre sillonnent le sol ocre immaculé. « Les contrebandiers les empruntent la nuit pour traverser la frontière et échapper à la vigilance des soldats aux aguets. » nous explique Rami Aysha, notre fixer. Enfin, nous revenons sur nos pas pour rejoindre un des nombreux camps de réfugiés officieux de la Bekaa : Le camp d’Omariyi
Lorsque nous sortons de la voiture, un calme brûlant règne en maître. Immobile, les femmes nous scrutent d’un œil hagard. Les enfants, les imitent et nous regardent fixement, plantés entre les tentes tachées de boue et de sable. Après quelques minutes passées sous le soleil noir de la plaine de la Bekaa, une famille nous invite chez elle, dans une des tentes. Nous enlevons nos chaussures et nous asseyons dans le salon. Une télé allumée et sans images meuble la pièce. Nous discutons avec la maitresse de maison par l’intermédiaire de Rami. « Nous avons quitté Homs au début de la guerre avec mon mari et mes enfants. Notre maison a été détruite, nos économies avec. L’aide de l’UNHCR est de 14 $ par personne et par mois. Au prix ou nous louons nos emplacements de tente, nous n’iront pas bien loin.» Elle ajoute : « nous ne pouvons même pas travailler, nous ne sommes pas libanais. »
Face à cette crise plongeant 70% des réfugiés syriens au Liban en dessous du seuil de pauvreté, l’HCR tente de négocier un droit au travail. « Des discussions ont lieu entre des membres de l’HCR et le gouvernement pour préserver un certain accès aux travail, moyen de subsistance, pour les réfugiés syriens, en particulier dans les secteurs ou il n’y a aucune concurrence avec les ressortissants libanais. Les secteurs de l’agriculture ou de la construction par exemple »
En attendant que les négociations aboutissent, les enfants sont envoyés travailler à la place de leurs parents. C’est ainsi que les deux fils ainés, Mohammad et Ahmad, ramassent des pommes de terre 7h par jour pour 5 $. Ils ont 8 et 12ans. Leur père les accompagne de temps en temps pour s’assurer que tout se passe bien mais c’est trop dangereux pour lui de rester.
Dans la pièce il y a maintenant une quinzaine d’enfants qui s’esclaffent. Les filles miment leur mère en s’occupant des nourrissons. Les garçons se chamaillent et se bousculent pour nous approcher. Au bout d’une heure Ahmad, Mohamad et leur père rentrent chez eux après une journée de travail. Ils ont l’air fatigué. Le plus jeune Mohamad accepte d’être photographié tandis que Ahmad préfère rester à l’écart de l’objectif.
L’œil scintillant, il nous regarde d’un air attentif et écoute sa mère le flatter en nous parlant de ce qu’on avait déjà deviné: « Ahmad est très intelligent». Elle ajoute « Il adorait l’école et était premier de sa classe en Syrie. Il regrette de ne plus pouvoir y aller ». Nous parlons d’informatique et de jeux vidéo. Il nous montre son Smartphone et nous propose de jouer avec lui à « Clash of Clan » ou à « Farmer city » : Un jeux communautaire où partant de rien tu dois développer ta ferme face à la concurrence des autres joueurs connectés.
Son rêve de devenir ingénieur informatique est évincé, érodé de jour en jour par l’étendu du conflit syrien. Comme lui des milliers d’enfants sont privés d’école, dépossédés de leur droit à un avenir louable. Ils sont 64 dans le camp d'Omariyi.
Après avoir bu un café à la cardamome (à la libanaise), nous sortons pour rencontrer d’autres habitants du camp. Au loin des volutes de nuages blancs surplombent les montagnes à présent. Nous marchons au milieu des tentes, accompagnés de tous les enfants.
Un homme à la moustache drue et sèche, coiffé d’un keffieh rouge et blanc, vient à notre rencontre. Accompagné d’un jeune garçon, il nous explique: « C’est mon fils il est épileptique mais je n’ai aucun moyen de lui payer des soins. Lorsqu’il fait une crise, nous ne pouvons rien, voyez sa main». L’homme attrape le bras de son fils et nous montre la morsure qu’il s’est infligé.
Sollicités par d’autres familles curieuses de notre visite, nous les suivons jusque chez elles. Ainsi nous rencontrons trois sœurs à l’histoire aussi triste que réelle dont les visages emplis d’allégresse reflètent une joie de vivre démesurée. Des visages dont on ne peut lire aucune commisération. Elles vivent toutes les trois sous le même toit de fortune. L’une d’entre elles a perdu toute sa famille en Syrie. Le mari de sa sœur cadette, Laura, s’est fait enlever par des soldats de l’armée loyaliste il y a maintenant deux ans. Elle est sans nouvelles. La troisième nous invite à rester boire le thé dans la tente, plantée sur un lit de béton. Nous leur demandons alors comment font-elles pour vivre, payer leur loyer, leur électricité et leurs soins : Laura me regarde en badinant pleinement de sa situation et me répond : « On ne paye plus de loyer depuis 5 mois. La police est déjà venue plusieurs fois mais nous n’avons pas d’autres choix que de rester ici». Déterminées à sourire face à leur sort, les 3 femmes positivent et comptent uniquement sur la solidarité entre les réfugiés du camp.
La troupe d’enfants est une sorte d’allégorie de cette solidarité. Tous unis les uns aux autres ils courent et se regroupent à chaque photos. Curieux et naturellement soucieux de leur image ils nous demandent de leur montrer nos clichés. Nous sommes une véritable attraction. Leur motivation et leur réceptivité d’après notre fixer s’explique par leur volonté que leur voix soit entendu à travers le monde et qu’un changement s’opère enfin.
Les aides de l’UHNCR s’amoindrissent au fur et à mesure que le nombre de réfugiés augmente. « Ils ne viennent plus que pour faire des statistiques» nous lance un habitant du camp. Des dizaines d’associations tentent de venir en aide aux réfugiés de laBekaa mais l’accroissement permanent du nombre de réfugiés et la diminution des économies de certaines familles plongent cette région dans une situation alarmante. « Des hommes viennent et emmènent des femmes avec eux pour les mettre sur le trottoir à Beyrouth ou à l’étranger » nous explique Rami. De plus c’est « un terreau social pour la radicalisation »nous expliquera plus tard Nicolas Pouillard, chercheur à l’institut français du proche orient. « Le Liban est plus que concerné par le conflit Syrien».




















