NOVEMBRE 2015 - Sinjar city a été reprise des mains de Daech le 13 Novembre dernier par les forces kurdes (2015). Malgré la libération de la ville du nord de l’Irak, la population Yezidi craint pour son avenir. En effet, cette communauté minoritaire est prise dans des conflits politiques entre les différents partis qui divisent les mouvements et entités kurdes.
Sinjar City est un champ de ruine. La ville, libérée le 13 novembre dernier par les forces Kurdes, témoigne des combats pugilistiques menés contre Daech depuis près d’un mois. Les rues sont barrées par des montagnes de gravats. Des volutes de fumées noires émanent encore des maisons en feu. Des camions vont et viennent pour sauver ce qu’il reste. Meubles, couvertures, frigos, souvenirs y sont accrochés. Quelques anciens habitants retournent pour la première fois dans la ville après un an de désertion. Ils constatent l’ampleur des dégâts causés par la guerre et l’occupation de Daech depuis août 2014. « Ici, il y avait la maison de mon frère, il ne reste plus rien » lance un homme, accablé, en montrant un habitat décomposé en une kyrielle de parpaings éclatés « Elle a été bombardée pendant l’offensive, la mienne est à coté ». Un mur mitoyen a été emporté par la secousse de la frappe.
Au cœur de ce théâtre sinistre, de nombreuses traces de l’Etat Islamique sont progressivement découvertes : Des murs sont parsemés de graffitis djihadistes. « Moudjahidines, soit patient » peut-on lire sur l’un d’eux. Une mosquée, recouverte de coran en cendre, dégage une odeur de souffre jusque dehors. Un corps encore identifiable se décompose au soleil sur un amas de pierre. Certaines maisons regorgent de tunnels, de mines et de pièges en tous genres, rendant la réappropriation longue et périlleuse. « Certains tunnels font jusque 100m de long. Ils leur servaient à se protéger des frappes aériennes, à s’enfuir pendant les offensives ou encore à concocter leurs bombes artisanales » explique Kourtay, officier de communication du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Shengal.
Les Yezidis rejoignent tous un camp. Certains par conviction, d’autre par défaut. Dépourvus des ressources économiques, politiques et militaires nécessaires à l’indépendance, cette communauté minoritaire du nord de l’Irak a été entrainée dans un conflit politique qui la dépasse.
Parmi les peshmergas, la cohabitation entre les différentes communautés est difficile. En effet les Yezidis, constituant la moitié de l’armée stationnée dans le Sinjar, combattent aux côtés des Kurdes, majoritairement sunnites.
Leur religion n’appartenant pas à celle du livre, certains musulmans rigoristes au sein des peshmergas leur attribue le titre « d’adorateur du diable ».
Les Yezidis quant à eux, se souviennent que leurs principaux oppresseurs à travers l’histoire sont les musulmans, toutes ethnies confondues. Malgré leur alliance face aux hommes du Daech, cette ancienne querelle est toujours aussi vive.
Le 20 novembre dernier, dans le village de Sowlakh, des peshmergas, Yezidis et Kurdes avaient pour mission d’évacuer les habitants, des arabes sunnites, vers l’intérieur du Kurdistan. Pour les Yezedis, ces gens qui avaient vécu une quinzaine de mois sous la coupe du Daech, ont soutenus les djihadistes dans le massacre de leur population. Du point de vue des Kurdes, il fallait aider des civils, des « frères » musulmans. Le désaccord entre les peshmergas a dégénéré en échanges de coups de feu. L’escarmouche a fait plusieurs morts et blessés de chaque côté.
« Il s’agit d’un malentendu entre frères. Cela n’aura pas plus d’impact, le problème a été résolu. Les combattants mis en cause sont à présent côte à côte sur un checkpoint » explique Qassim Shesho, commandant en chef des forces peshmerga dans la région. Selon la population locale, des cas similaires se sont déjà produits.
Une trahison impardonnable
Selon plusieurs témoignages des habitants de la ville, la veille du massacre du 3 août 2014, les peshmergas ont profité de l’obscurité pour se retirer en ordre, de leurs positions dans le Sinjar. Plus nombreux, mais moins bien armés, ils ont décidés, sans prévenir la population locale, de battre en retraite. Laissant leur matériel sur place ainsi que plus de 3000 Yezidis qui travaillaient en tant qu’agents de sécurité pour le PDK. Parmi la population de Sinjar, le sentiment de trahison est resté très fort. Qasim Shesho considère que son prédécesseur, en charge au moment de l’attaque, n’était qu’un « lâche ».
« Le 3 août j’étais là. Je n’ai vu aucun combattant du Daech, pas même de véhicules. J’ai vu les peshmergas s’enfuir et abandonner leur matériel, nous avons récupéré leurs armes pour tenter de résister. Ils n’ont pas combattu, je pense que leur départ était prévu. Les kurdes se retiraient, les Yezidis sont restés pour se battre. Selon moi ils voulaient les laisser se faire tuer. » raconte un ancien agent de sécurité du PDK.
Tous les kurdes n’ont pas abandonnés les Yezidis à leur sort funeste.
Les hommes du PKK sont arrivés en renfort pour combattre les djihadistes. C’est grâce à leur intervention qu’un corridor humanitaire a pu être mis en place et ainsi briser l’encerclement des populations réfugiées dans la montagne. Agit Kalani, commandant parmi les forces du HPG s’exprime sur les raisons de leur venue : « Nous sommes présents ici pour deux raisons, libérer le Sinjar ainsi que pour protéger sa population. C’est grâce à notre intervention que les 3000 Yezidis abandonnés par le PDK on put être sauvé et c’est en coopération avec les Yezidis que nous avons réussi à ouvrir le corridor qui a permis aux réfugiés de survivre au siège. » Une part importante de la population Yezidis est très reconnaissante pour le rôle que le PKK joue dans la région. « Cela fait quinze mois que mes trois filles se battent dans le YBS. Les hommes et les femmes du PKK sont venus nous aider, et si un jour, ils ont besoin de notre aide, ailleurs, mes filles iront se battre à leurs côtés » explique Saeed Hassan, vivant dans le camp de réfugiés de Sairdashty. Cependant, pour d’autres, la reconnaissance exprimée est assez nuancée : « Nous remercions le PKK de nous aider à défendre notre peuple et notre terre. Mais maintenant ils veulent rester, nous sommes très reconnaissants mais nous ne voulons pas être sous leur contrôle. » souligne l’ancien agent de sécurité du PDK.
Même si le PKK jouit d’une reconnaissance quasi unanime au sein de la communauté yézidis, un grand nombre d’entre eux se battent pourtant toujours au sein des Peshmergas.
Selon Qasim Shesho « Les Yezidis qui aiment le PKK viennent de famille pauvres et n’ont aucune éducation. Même si pour certains la confiance a été brisée avec les Kurdes, elle reviendra. Seuls les Peshmergas supportent et protègent les Yezidis. Nous avons du mal à faire confiance aux Kurdes mais le président Barzani est le seul qui nous aidera. » Cependant il est bon de rappeler que Qasim Shesho leader de la Force de défense du “Êzidîxan” (HPE), a perdu une partie de sa légitimité face à ses hommes, son statut de commandant fût remis en cause. C’est grâce à l’aide active du PDK qu’il s’est maintenu aux commandes. La fracture scinde même la famille du leader Yezidis. Son neveu, Heydar Shesho a payé le prix de son opposition au PDK. Les hommes de Barzani l’emprisonnèrent pendant une vingtaine de jours à cause de sa sympathie pour l’UPK et le PKK.
Si beaucoup de yezidis se battent dans les rangs des Peshmergas, il s’agit plus de pragmatisme que d’affinité politique. En effet, contrairement au PKK, toujours considéré comme organisation terroriste par de nombreux pays occidentaux, dont la France, le PDK possède d’importantes ressources. D’un point de vue militaire, les hommes du gouvernement régional du Kurdistan disposent de plus d’hommes, d’équipements mais surtout d’argent. Ces fonds ne seront pas seulement utiles à l’entretien des forces armées, ils seront d’une grande utilité pour les Yezidis afin de rebâtir leurs villages et la ville dévastée de Sinjar.
Malgré leur engagement au sein des peshmergas, beaucoup de yezidis souhaiteraient avoir les moyens de se protéger eux mêmes afin d’éviter qu’un événement comme celui du 3 août ne se reproduise. Cet avis est partagé par le commandant Agit Kalani du PKK : « Il serait bon pour les Yezidis qu’ils disposent d’une certaine autonomie au sein du Kurdistan irakien. »
De nombreux combattants et combattantes Yezidis ont rejoins les rangs du PKK, des peshmergas ou de l’alliance Shingal et continuent de se battre pour un avenir louable. « On est ici pour protéger nos proches et nos terres après ce qu’il s’est passé l’année dernière» lance Silava jeune combattante du YBS. « Nous sommes de plus en plus fortes mais nous avons besoin de soutiens militaire et logistiques. Daech s’est doté de techniques efficaces, de beaucoup de combattants et d’armes lourdes » explique une de ses amies.
Les conflits armés s’éloignent des abords de Shengal. La misère et l’appréhension quant à l’avenir des Yezidis seront, elles, plus dures à déloger. « Je souhaite obtenir une protection nationale et internationale. A ce moment là je pourrais songer à un avenir pour ma famille» explique un réfugié Yezidi. « Seule une aide venant de l’extérieur du pays peut nous réconforter. Nous souhaitons un soutien militaire et un consul Yézidis indépendant qui peut représenter notre communauté ».
Avec Pierre-Yves Baillet pour Kedistan
http://www.kedistan.net/2016/10/25/sinjar/
OCTOBRE 2017 - Au sinjar, le« jeu politique » se poursuit dans l’indifférence des Yazidis
A la cime d’une crête abrupte du mont Sinjar, le temple yazidis « Chil Mêran », -les quarante hommes - domine la plaine grise parsemée de vert. Une brise fraiche, annonçant l'automne, se heurte à la pointe de ce lieu sacré qui se dresse vers le soleil depuis des siècles. La vue vertigineuse donne à voir les mujamma‘ât, villages fondés sous Sadam Hussein en 1975 pour regrouper et contrôler les populations rurales de la région tout en les dépossédant de leur terre. Au nord, on voit Borek, Sinoni, Duhula, Gubal, le territoire kurde contrôlée par les peshmergas. Au Sud, Tel Qasap, Tel Banat, Gerzere et le district irakien d’Al Ba’aj aux mains des milices chiites Hached al Chaabi, rattachée au gouvernement central. « Nous contrôlerons l’ensemble de la montagne dans les six mois à venir » lance Khal Ali, commandant du bataillon Lalish, milice yazidi affiliée à l'Organisation para-militaire chiite soutenue par l'Iran. Il poursuit avec une autorité naturelle : « Sinjar, ce n’est pas la Syrie, ce n’est pas le Kurdistan, c’est l’Irak. » La veille, Qais al-Khazali, fondateur et commandant d’Asaib al-Haq, autre milice chiite déclarait : « Nous sommes prêts à combattre à Kirkouk, à Sinjar et dans toute la plaine de Ninive».
Pour le moment, les miliciens du bataillon Lalish se tiennent face aux autorités du Kurdistan. «Nous entretenons de bonnes relations », prétend un peshmerga yazidi posté à quelques dizaines de mètres du checkpoint Irakien de Tel Qasap. «Nous sommes tous yazidis. Il n’y aura pas de combats. Ils quitteront les Hacheds s’ils avaient l’ordre de nous attaquer», ajoute-t-il. Khal Ali, vêtu d’un treillis militaire dans sa maison à Khanasor, au nord de la montagne, raconte qu’il a été le premier yazidi à rejoindre les milices chiites. Aujourd’hui, il est au commande d’une unité de 400 combattants et considère le Gouvernement kurde et les yazidis qui ont votés en faveur de l’indépendance du Kurdistan comme ses adversaires. « J’appartiens au gouvernement central maintenant. Et ce camp revendique un territoire», explique-t-il d’un ton impassible. De son côté, Qassim Shesho, commandant en chef des peshmergas du Sinjar, s’inquiète : « le referendum a accentué les tensions avec les Hached Al Chaabi. Ils ne veulent pas d’un Kurdistan indépendant, c’est évident. Mais pour l’instant, ce ne sont que des menaces. »
Le 25 septembre dernier, 92% des yazidis, au Sinjar et dans les camps de déplacés, ont voté « oui » au referendum pour l’indépendance du Kurdistan. Un score qui reflète peu les craintes qui subsistent dans l’esprit des habitants de la région. « Je ne fais plus confiance, ni aux kurdes, ni aux irakiens. Mais à choisir je préfère que Sinjar soit rattaché au Gouvernement central. En 2014, j’ai vu les peshmergas fuir et laisser des yazidis sur le bord de la route » raconte un agriculteur, en montrant le chemin emprunté qui traverse les montagnes devant ses terres.
Au Sinjar, les évènements du 03 aout 2014 sont omniprésents. Ce jour où les djihadistes de l’Etat Islamique (EI) ont perpétré un génocide, tuant entre 1500 et 3000 yazidis, est gravé sur les murs dans les villages, les carcasses de voitures et les citernes vides. Un sentiment d’abandon réside à l’encontre des peshmergas qui avaient alors quitté les lieux précipitamment laissant, à la merci des djihadistes, la population qui se réfugia dans les montagnes puis dans les camps de déplacés du Kurdistan.
Aujourd’hui quelques familles rentrent peu à peu. Certaines attendent toujours que les villages du sud, contrôlés par les Hached Al Chaabi, soient déminés. « Nous ne pouvons pas encore rentrer chez nous. Ils (Hached al Chaabi) nous ont dit que notre village, Gerzerek, n’était pas encore sécurisé », s’impatiente un ancien peintre en bâtiment au chômage. En attendant l’homme raconte qu’il loge dans une maison dont le propriétaire est resté au Kurdistan.
La reconstruction de la ville est au point mort. Il y a moins d’une dizaine de générateurs, chacun pouvant alimenter en électricité une centaine de familles. « Celui-ci, peut produire 500 ampères en continu » raconte un habitant de Sinjar chargé de récolter l’argent des bénéficiaires, acheter du fuel et s’assurer du bon fonctionnement des machines. « Nous en sommes à 472 et des familles demandent à se brancher quotidiennement. Bagdad et Erbil se renvoient mutuellement la responsabilité et personne n’agit»,s’indigne-t-il.
Ni les écoles, ni les dispensaires n’ont été reconstruits dans la ville de Sinjar, libéré en novembre 2015. En attendant, les enfants assistent à deux heures de leçons d'anglais par jour dans des centres d’éducation gérés pars des Organisations non-gouvernementales (ONG). Les habitants de Sinjar doivent retourner au Kurdistan pour recevoir des soins dans des hôpitaux. Et l’eau manque toujours terriblement. « Le peu d’infrastructure d’adduction d’eau a été endommagé par les récents combats. Le Sinjar a toujours été en marge des plans d’aménagement du territoire. Son statut de territoire disputé à longtemps bloqué les réalisations comme l’interruption du projet d’irrigation du nord de la plaine de l’Al-Jazeera aux frontières du district» explique Juliette Duclos-Valois, doctorante en anthropologie à l’EHESS, spécialiste du Sinjar.
S’ajoute à cette situation, la territorialisation du parti des travailleurs du Kurdistan de Turquie (PKK). Après avoir ouvert un corridor pour permettre l’échappée de la population en 2014, puis, avoir participé à la libération de Sinjar en 2015, les combattants ont fondé une milice Yezidis, les YBS, qu’ils entraînent toujours tout en recrutant d’autres combattants. Celle-ci contrôle le village de Khanasor, un accès direct au Rojava, le Kurdistan syrien, contrôlé par une autre branche du PKK, les YPG. Conséquences, la Turquie a bombardé déjà plusieurs fois la région et la proximité entre les checkpoints accentue le risque d’affrontements. Deux combattants Hached Al Chaabi sont morts après avoir tenté de franchir un poste de contrôle PKK/YBS, il y a quelques semaines. « Nous ne laisserons personnes empiéter sur notre territoire », déclare Sarhat, combattant PKK posté à un mémorial érigé en hommage aux martyrs : une base de l’organisation bombardée par la Turquie en avril dernier. Une détonation de TNT retentit dans la montagne. Des talus de pierre blanche trahissent les activités de l’Organisation kurde qui creuse de nouveaux tunnels.
Au crépuscule, des enfants jouent au football au bord d’une route endommagée au pied de la montagne et à deux pas des postes de contrôle des différentes forces occupantes. Malgré l’insouciance apparente, tous les chefs militaires de la région s’accordent à penser que Sinjar est avant tout une zone disputée et que le sort de la population n’est pas la priorité. « Un terrain de bataille » selon Qassim Shesho ou un « jeu politique » décrit Khal Ali, auquel les Yezidis sont les grands perdants.

















